Le pollen réduit la sensibilité des abeilles aux pesticides


De nombreux travaux scientifiques ont montré le rôle crucial de la nutrition pollinique sur la santé des abeilles mellifères (Apis mellifera). La consommation de pollen peut notamment améliorer l’immunité et la tolérance aux agents pathogènes des abeilles. Des chercheurs INRAE ont récemment étudié l’influence de la nutrition en pollen sur la sensibilité des abeilles aux pesticides. Ils ont mis en évidence que certains pollens ont des effets bénéfiques plus importants que d’autres, ceci étant dû à des différences dans leurs compositions en nutriments et en composés phytochimiques selon les espèces florales.

Des pollens qui permettent de mieux tolérer un insecticide

Des chercheurs INRAE de l’unité Abeilles et Environnement avec leurs homologues belges, italiens et suisses ont récemment évalué l’influence de deux mélanges polliniques (nommés ici pollen 1 et 2) sur la sensibilité des abeilles au sulfoxaflor, un insecticide agissant sur les mêmes cibles que les néonicotinoïdes. Ils ont mis en évidence des effets bénéfiques de la consommation de pollen sur la tolérance au sulfoxaflor suite à une exposition aiguë (une dose) et à des expositions chroniques (abeilles exposées au pesticide pendant 10 jours). Notamment, lors de l’exposition chronique, l’alimentation en pollen a permis de diminuer le risque de mortalité des abeilles exposées au sulfoxaflor. Si la faible concentration de sulfoxaflor (0,2 µg/ml de sirop) a augmenté par 1,5 le risque de mortalité des abeilles n’ayant pas reçu de pollen, ce risque est devenu non significatif chez les abeilles ayant consommé du pollen. De même, pour la concentration la plus élevée (2 µg/ml de sirop) représentant un scénario extrême d’exposition, le risque de mortalité est passé de 12 (pas de pollen) à environ 5 (avec pollen). Les chercheurs ont également observé que la capacité des abeilles à tolérer le pesticide a été affectée par le type de mélange pollinique. En effet, les abeilles nourries avec le pollen 1 ont encore mieux toléré le pesticide que celles nourries avec le pollen 2.

Un effet « détox » des pollens, différent selon leur composition

Cette baisse de toxicité est notamment liée aux capacités de détoxification des pesticides par les abeilles. Les mesures de résidus de pesticides après exposition ont montré que la concentration de sulfoxaflor a diminué plus fortement chez les abeilles ayant consommé du pollen, et plus rapidement chez les abeilles nourries avec le pollen 1 par rapport aux abeilles nourries avec le pollen 2. Cette meilleure détoxification semble dû à une plus faible concentration de l’acide p-coumarique dans le pollen 1 (637 μM) que dans le pollen 2 (1491.6 μM). En effet, de précédents travaux ont montré que des concentrations relativement faibles d’acide p-coumarique ont des effets positifs sur la longévité et les capacités de détoxification des abeilles, alors que des concentrations élevées n’ont pas d’effets ou au contraire deviennent toxiques.

Les chercheurs démontrent à partir des résultats de cette étude que la disponibilité et la qualité du pollen facilitent l’élimination des pesticides dans le corps des abeilles et diminuent leur sensibilité à ces composés. Par conséquent, la baisse des ressources florales, en quantité et en qualité, dans les agrosystèmes pourrait augmenter la sensibilité des abeilles aux pesticides, ce qui constitue un argument supplémentaire en faveur de la restauration de la diversité des ressources florales dans ces habitats, afin de protéger les abeilles.

Cette étude a été financée par le projet européen PoshBee – Pan-european assessment, monitoring, and mitigation Of Stressors on the Health of BEEs (programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union Européenne).

Référence :
Barascou L., Sené D., Barraud A., Michez D., Lefevre V., Medrzycki P., Di Prisco G., Strobl V., Yañez O., Neumann P., Le conte Y., Alaux C. (2021) Pollen nutrition fosters honeybee tolerance to pesticides. Royal Society Open Science. 8: 210818. https://doi.org/10.1098/rsos.210818

L’apprentissage des abeilles perturbé par les métaux lourds

Alors que les produits agrochimiques sont déjà identifiés comme des causes importantes du déclin des pollinisateurs, des chercheurs démontrent que le plomb ou l’arsenic, par exemple, affectent les capacités cognitives, et donc de survie, des abeilles.

Des abeilles désorientées, qui perdent l’odorat et ne savent plus vers quelles fleurs se tourner pour butiner : les effets des métaux lourds sur cet insecte pollinisateur commencent tout juste à être étudiés, mais ils s’avèrent dévastateurs. C’est ce qu’a mis en évidence une équipe de chercheurs conduite par Mathieu Lihoreau, du Centre de recherches sur la cognition animale1 (CRCA), à Toulouse, lors d’une étude menée dans l’ancienne mine d’or de Salsigne (Aude), dans le massif de la montagne Noire.

La région n’a pas été choisie au hasard : elle est le siège d’activités minières depuis l’époque gallo-romaine, avec une exploitation du fer, de l’argent et du plomb qui s’est poursuivie jusqu’à la fin du XIXe siècle. Puis, de son ouverture en 1892 à sa fermeture en 2004, la mine de Salsigne a été la plus importante mine d’or d’Europe occidentale. Or, l’or est présent dans les roches ayant une très forte concentration en arsenic, un métalloïde, qui est donc extrait en même temps que le métal précieux. Le site est ainsi devenu l’un des plus pollués d’Europe par des métaux lourds, et particulièrement par l’arsenic. Pour les chercheurs, c’était le lieu tout indiqué pour installer des ruches afin de valider de premiers résultats obtenus en laboratoire.

L’incidence délétère du plomb sur la mémoire et le développement cérébral

Les travaux menés par Coline Monchanin, doctorante au CRCA, avaient mis la puce à l’oreille des scientifiques quant aux effets des métaux lourds sur la cognition des pollinisateurs. En nourrissant des ruches d’abeilles domestiques avec du nectar contenant de faibles doses de plomb (inférieures aux seuils réglementaires européens pour l’environnement), la chercheuse avait en effet montré la moindre capacité des insectes à mémoriser des odeurs.

La scientifique avait également constaté que les abeilles ayant ingéré du plomb étaient moins grosses que les abeilles « contrôle », avec des têtes plus petites, suggérant un effet délétère sur leur développement cérébral.

© Coline Monchanin

L’ingestion de plomb par les abeilles réduit leurs capacités d’apprentissage. Elle a aussi une incidence sur leur développement : les abeilles exposées ont une tête plus petite !

Coline Monchanin

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Des résultats inquiétants, qui soulevaient l’urgence à mieux évaluer la contribution des métaux lourds au déclin généralisé des insectes. « Le plomb, l’arsenic, le zinc ou le cadmium sont naturellement présents autour de nous, explique Mathieu Lihoreau. Mais les activités industrielles, particulièrement l’exploitation des mines, ont considérablement élevé leurs concentrations dans l’eau et dans l’air, exposant les populations humaines et animales à des doses potentiellement toxiques encore mal évaluées. »Si une eau contaminée est puisée par les plantes, cette contamination va se retrouver dans le pollen et le nectar dont se nourrissent les abeilles… L’équipe a donc poursuivi ses recherches, en posant à l’été 2020 des ruches sur le site de l’ancienne mine d’or de Salsigne.

Des mécanismes d’action à éclaircir

Les scientifiques ont procédé en deux temps. Des ruches ont d’abord été posées sur cinq sites, au centre de la mine et dans un rayon de 11 kilomètres, dans des zones variées : urbaines, de prairies, de forêts, de cultures. « Puis nous avons réalisé des tests comportementaux avec près de 1 000 abeilles », détaille Mathieu Lihoreau. Avec un dispositif bien rôdé : placée devant un canon à odeurs, l’abeille était confrontée à une odeur associée à la présentation d’une solution sucrée sur les antennes. Elle réagissait alors en « tirant la langue » (ou plutôt sa trompe, ou « proboscis») pour boire cette récompense. Après un court entraînement, la présence de cette seule odeur suffisait à déclencher l’extension de la trompe. Une heure après (mémoire à court terme) et 24 heures après (mémoire à long terme), les chercheurs ont pu observer si les abeilles se souvenaient ou non de l’association odeur/sucre.

À gauche, une abeille semble « tirer la langue » : elle étire son proboscis (rouge) en réponse à la stimulation olfactive associée à la récompense sucrée. À droite, le canon à odeur utilisé pour ce test peut diffuser huit odeurs différentes.

Cyril Frésillon / CRCA / CNRS Images, à gauche, et à droite © Mathieu Lihoreau

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Résultat : les abeilles issues des ruches les plus proches du centre de la mine d’or ont manifesté, comme pour l’étude sur le plomb, des problèmes de mémorisation. Celles collectées au plus proche de la mine ont présenté des performances d’apprentissage olfactif inférieures de 36 % à celles des groupes contrôles non exposés. 

« À ce stade, on ne comprend pas vraiment ce qui se passe, reconnaît Mathieu Lihoreau. Autant pour les néonicotinoïdes (insecticides utilisés pour la protection des cultures), nous connaissons le mécanisme d’action : ces substances se fixent sur les neurones des insectes, les rendant inactifs. Mais pour les métaux lourds, le mécanisme reste à étudier, d’autant qu’en conditions environnementales, il existe certainement un effet cocktail entre les différents métaux (arsenic, plomb mais aussi zinc, cadmium, etc.), sans oublier les autres stress auxquels l’insecte peut être confronté – insecticides ou facteurs climatiques, sécheresse notamment. »

Un labyrinthe pour tester les abeilles en pleine nature

Pour aller plus loin, les chercheurs ont décidé d’utiliser un nouveau dispositif qui leur permettra d’étudier les capacités d’apprentissage, visuel cette fois, des abeilles en liberté, en pleine nature : un labyrinthe. Imaginez une structure en forme de Y posée au sol. Les abeilles qui choisiront la branche de gauche se verront proposer, par exemple, une couleur associée à du sucre. Mais si elles empruntent la branche de droite, elles verront une autre couleur, à laquelle aucune récompense n’est associée. Marquées avec un code barre, reconnues par une caméra placée à l’entrée du labyrinthe, elles pourront s’entraîner pendant des jours et fournir ainsi aux chercheurs des courbes d’apprentissage et de mémoire.

labyrinthe © Mathieu Lihoreau

À gauche, deux bourdons explorent le labyrinthe utilisé par les chercheurs. À droite, le dispositif en situation sur le terrain, ici dans le cadre d’une étude sur la santé des abeilles à Fukushima.

Mathieu Lihoreau

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Ces tests permettront ensuite de comparer des abeilles exposées à différentes situations de stress, en les soumettant par exemple à des niveaux variés de pesticides, de métaux lourds ou encore à différents nutriments. Ils permettront également de tester ces effets sur les abeilles sauvages. « Nous sommes en train d’établir une preuve de concept de ce système, explique Mathieu Lihoreau. Nous allons le tester sur le site de Fukushima, au Japon, pour évaluer les effets de la radio-contamination sur des abeilles. Nous avons ensuite prévu de le répliquer sur d’autres sites, notamment en France. »

Rappelons qu’en pollinisant les plantes à fleurs, les butineuses garantissent la reproduction de nombreuses espèces végétales. Pas moins d’un tiers de l’alimentation mondiale dépendrait de cette pollinisation : sans abeilles, pas de tomates, de courgettes, de fraises, ni de pommes..


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